En février 2023, le Centre Ressource en Réhabilitation psychosociale et Remédiation cognitive (CRR) a interviewé Elsa POLA, infirmière au SAMSAH ALHPI Elan, au sujet de la prévention des risques périopératoires pour les personnes ayant des troubles psychiques sévères.
Découvrez l’interview en question ci-dessous ou directement sur le site internet du CRR via ce lien.

Un contexte

Dans un rapport récent sur la qualité et la sécurité des soins en psychiatrie générale, la Haute Autorité de Santé (HAS) a mis en évidence les fragilités importantes de la prise en charge somatique des patients hospitalisés à temps plein pour des troubles psychiatriques (gestion de la douleur, évaluation métabolique et cardiovasculaire).

Par ailleurs, une revue de la littérature publiée dans la revue Annals of surgery (volume 275, n°3) en mars 2022 intitulée « Improving surgical care for patients with mental illnesses » mettait déjà en évidence une association forte entre complications périopératoires et maladies psychiques.

Thromboses post-opératoires, septicémie, admission en soins intensifs et séjours longs, atteintes rénales, infections acquises à l’hôpital sont de 1,5 à 3 fois plus fréquentes au sein de cette population de patients présentant des troubles psychiques.

Plusieurs facteurs de risque sont énoncés dont :

  • Une méconnaissance par les chirurgiens des antécédents psychiatriques éventuels des personnes qui subissent une opération liée à un manque de temps et un cloisonnement des spécialités médicales
  • Une connaissance limitée des spécificités de l’accès aux soins des personnes présentant un trouble psychique sévère, dont le phénomène d’autostigmatisation
  • Une communication insuffisante en amont de l’opération pour identifier les facteurs de protection individuels

Systématiser le repérage des troubles psychiques des patients en contexte d’intervention chirurgicale et encourager des alliances fortes et régulières entre les structures d’accompagnement et de prises en soin psychiatriques et somatiques sont énoncées ici comme des leviers pour générer plus d’équité dans les soins de chirurgie et sécuriser les suites post-opératoires.

 

Retour d’expérience

 
De votre point de vue, Elsa, dans quelle mesure et comment le SAMSAH Elan prend-il part à la prévention des risques associés à un acte chirurgical chez les personnes qu’il accompagne?

Il me paraît important d’accompagner le processus du début à la fin, en proposant un soutien plus ou moins renforcé en fonction de l’indépendance et de l’autonomie des usager.e.s.

Cela peut consister par exemple à un accompagnement physique aux différents rendez-vous médicaux (pré opératoire et post opératoire), afin d’être en mesure de réexpliquer les consignes et précautions données par les professionnel.le.s de santé et de relire, à distance du rendez-vous, les documents dans un cadre sécurisant (au domicile ou au service).

Il convient également de prendre le temps d’échanger au sujet des appréhensions que les actes chirurgicaux peuvent engendrer, d’informer et de réinformer les personnes sur les risques que de tels actes peuvent représenter. Il y a selon moi un enjeu de taille : transmettre les informations en s’assurant qu’elles aient été comprises et considérées, sans pour autant majorer l’anxiété / l’angoisse des personnes en situation de handicap psychique.

Cela fait en effet partie des missions des infirmier.e.s en SAMSAH de s’assurer que tout soit mis en place pour le suivi post-opératoire : passage en libéral pour la réfection de pansement si besoin, rééducation si besoin etc…

Pour ma part et en fonction des situations, je n’hésite pas à envoyer un SMS de rappel des différents RDV médicaux, et à proposer un accompagnement physique comme mentionné ci-dessus.

Grâce au lien de confiance créé, les personnes accompagnées me demandent systématiquement mon avis sur l’évolution de leur opération. Je suis donc amenée à défaire des pansements et à les refaire, ou à évaluer la situation via des questions. Mettre en avant dans mon discours les ressources et compétences des personnes accompagnées me paraît essentiel, car cela améliore leur empowerment en faveur du « prendre soin de soi ».

Enfin, le lien partenarial et le travail d’équipe avec les coordinatrices de parcours sont aussi des éléments important dans la prévention des risques.

 

Quels sont les professionnels impliqués ?

Toute l’équipe du SAMSAH, les médecins traitants, les professionnel.le.s de santé impliqué.e.s dans l’opération.

 

Quels sont les facteurs protecteurs que vous identifiez sur le terrain pour limiter ces risques?

Il me paraît important que la personne ait facilement accès à des ressources fiables à interpeller en cas de besoin. Il m’arrive de constituer avec les personnes un « Mémo », qui est un outil visuel minimaliste, où sont inscrits les numéros essentiels (médecin traitant, le 15, le numéro du SAMSAH) et l’utilité de chaque numéro.

J’évoque le Mémo, mais les outils sont à proposer et à inventer en fonction des besoins, car chaque situation est différente.

Si la personne ne vit pas seule, un entretien avec un proche durant lequel les précautions à prendre et les risques éventuels lui seront expliqués ou rappeler peut également être un facteur protecteur.

J’ai également un regard sur l’environnement des personnes que j’accompagne : un environnement sain diminue les possibilités d’infection ou d’aggravation des plaies.

En amont et de façon systématique, une prise de tension artérielle et un relevé glycémique à jeun est effectué lors du bilan infirmier (en début d’accompagnement) et au besoin durant l’accompagnement, dans l’idée de dépister d’éventuelles Hyper Tension Artérielle et diabète précoce, qui peuvent être des facteurs de risques péri-opératoires.

 

Comment l’autodétermination des personnes est-elle mobilisée dans ces contextes ?

Globalement, j’ai observé que les questions de santé physique sont importantes pour les personnes que j’accompagne. Il y a beaucoup de craintes exprimées autour du corps, et le souhait de prendre soin de sa santé physique est souvent mis en avant.

En fonction de leurs degrés d’autonomie et d’indépendance, les personnes peuvent exprimer différents besoins. Ainsi, la manière dont s’exprime l’autodétermination des personnes varie. Les personnes peuvent demander une simple veille sur les rendez-vous avec des rappels en amont, peuvent avoir besoin d’entretiens pour échanger au sujet de l’intervention, peuvent souhaiter un accompagnement physique, ou bien tout à la fois.

L’enjeu est d’être à l’écoute des besoins exprimés par les personnes et d’adapter mes actions en fonction, tout en m’assurant que les choses soient faites en faveur de la santé physique. Et si ce n’est pas le cas, prendre le temps d’échanger sur les blocages, essayer de comprendre les enjeux en utilisant des techniques d’entretiens motivationnels ou d’Approche Centrée Solution par exemple.

 

Comment l’information concernant les soins somatiques en cours des personnes accompagnées ou les besoins somatiques repérés circule-t-elle au niveau du SAMSAH Elan ?

Au sein du service, l’information circule à plusieurs niveaux :

– Des transmissions orales et « informelles » sont faites régulièrement à l’issu de chaque rendez-vous et en fonction des professionnel.le.s présent.e.s au service
– Des transmissions écrites systématiques dans notre logiciel, et notamment dans le dossier de soins où sont notamment référencé.e.s l’ensemble des professionnel.le.s de santé qui interviennent dans chaque situation
– Lors des réunions d’équipe
– Au besoin, je peux être en lien avec les médecins traitants et les spécialistes, soit en me rendant aux rendez-vous avec les personnes, soit par mail ou encore par téléphone.

Je reprends régulièrement le Bilan Infirmier et le Projet de Suivi Individualisé avec les personnes, pour faire des points concernant la santé. Cela fait partie de mon cœur de métier d’être en veille sur ces questions, et de m’assurer que la personne à conscience de ses besoins sur le plan somatique.

Les accompagnements étant personnalisés, les actions menées varient en fonction de situations.

 

De votre point de vue, quels sont les liens entre la santé mentale des personnes que vous accompagnez et leur santé physique ?

Cela me paraît évident qu’une bonne santé physique contribue à l’amélioration de la santé psychique, et inversement ; les deux sont étroitement liés.

Pour aller plus loin, je parle souvent du corps/tête/cœur, où le cœur représente l’aspect émotionnel de notre être. Pour moi, ces trois composantes sont à considérer de façon systémique.

Comment se rétablir correctement d’un trouble psychique, lorsque l’esprit est accaparé par le corps ? Dans cette dynamique, il me paraît essentiel que les personnes puissent avoir des espaces pour se réapproprier leur corps à travers une activité physique.

Je crois que soutenir les personnes vers une prise de conscience de leurs ressentis corporels leur permet indéniablement d’acquérir une meilleure autodétermination en ce qui concerne leur santé physique.

Une fois par mois, nous proposons aux personnes que nous accompagnons une sortie « Marche en Nature » : il s’agit d’un espace sécurisant, où les personnes se mettent en mouvement au travers d’une activité physique adaptée et accessible à tous.te.s.

Sans entrer dans les détails, de nombreuses études ont démontré les bienfaits d’une activité physique sur la santé mentale. En tant qu’infirmière, je prends cette notion très à cœur et je crois qu’il en va de ma responsabilité de permettre aux personnes souffrant d’un trouble psychique d’accéder à une activité physique.
Et force est de constater que cela est bénéfique, car le groupe compte systématiquement des participant.e.s, et ceci depuis sa création il y a un an et demi.

Lors de ces temps de marche, j’interroge les personnes sur leurs ressentis : « Comment vous sentez-vous dans votre corps ? » « De quelle manière cela influe sur votre état psychique ? » L’objectif étant d’amener les personnes à une meilleure connaissance de leur corps, et ainsi une meilleure compréhension de leur fonctionnement qui leur permettra à terme de mieux cerner leurs forces/ressources/capacités et leurs limites.

 

Comment caractériseriez-vous la partie « médicale » de vos accompagnements médico-sociaux ?

En tant qu’infirmière, je représente le soin dans l’équipe pluridisciplinaire qui intervient sur le terrain. Je suis donc légitime pour aborder tout ce qui concerne cette thématique auprès des personnes. Souvent, le soin « fait peur », car rattaché à des vécus difficiles voire traumatiques.

Je rencontre les personnes pour la première fois à travers le bilan infirmier. Durant ce temps, je n’hésite pas à parler de mon parcours, à apporter des anecdotes en lien avec ce que me dit la personne pour que ce bilan prenne la forme d’un échange de personne à personne, et non pas de soignante à soigné.e. Cette tentative d’horizontalité dans la relation permet de mettre en avant le savoir expérientiel des personnes et donc de favoriser leur autodétermination.

Je caractériserais donc la partie « médicale » des accompagnements comme une partie « sensible » et « essentielle ». Il y a selon moi une notion de coresponsabilité sur le soin, partagée entre la personne accompagnée, et moi-même en tant que soignante.